Insécurité au Burkina : Exilés malgré eux, ils crient au secours

Publié le lundi 24 juin 2019 à 16h53min

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Insécurité au Burkina : Exilés malgré eux, ils crient au secours

De peur d’être attaqués, des milliers de Burkinabè ont fui leurs maisons, abandonnant biens et activités pour des endroits plus sécurisés. S’ils font certainement partie des chanceux parce qu’ils ont eu la vie sauve, leur quotidien a totalement changé du jour au lendemain. Confrontés au manque d’abris et aux difficultés d’accès aux services sociaux de base, les déplacés internes et les familles d’accueil ont besoin d’assistance. À la date du 18 juin 2019, la commune de Kaya enregistrait 6 799 déplacés internes.

Assis sous un arbre, Luc Bamogo s’attèle à remplir des fiches de recensement. « Vous avez combien d’épouses ? Combien d’enfants ? À combien évaluez-vous vos pertes matérielles (…) ? », lance-t-il à son interlocuteur Séni qui, visiblement, a l’air perdu dans ses pensées. Cultivateur dans le village de Tasmak, Séni et sa famille ont tout abandonné à Foubé-bollé, village situé à environ 60 km de la commune Basarlogho. « Je suis là avec mes trois épouses et mes onze enfants. Celui qui m’a permis d’acquérir le champ a été tué. J’ai eu peur et j’ai décidé de m’enfuir avec ma famille », raconte-t-il, précisant qu’il a laissé derrière lui, deux greniers pleins de mil. Hébergé chez un parent maçon, il envisage désormais de se reconvertir dans la maçonnerie pour subvenir aux besoins de sa famille.

Hado s’attèle à construire une maison pour reloger une partie de la famille

Il était midi au moment où nous arrivions sur les lieux et après 2 heures de recensement, Luc avait déjà enregistré dix familles. À ses heures libres, cet étudiant appuie l’équipe de recensement du service de l’action sociale de la mairie de Kaya. Et par jour, dit-il, « nous enregistrons au minimum 50 ménages déplacés ». De la vie des déplacés, Luc en sait quelque chose. Résidant autrefois à Bousmaogo, village situé à environ 90 km de Kaya, sa famille a fui les harcèlements des terroristes. « Un jour, ils ont rassemblé les gens du village en leur imposant des règles et un ultimatum. Ils se sont d’abord rendus dans une église et ont dit aux gens qu’il n’était pas normal que les hommes et les femmes se réunissent dans un même endroit pour prier », relate-t-il. Le lendemain, les parents de Luc ont quitté le village.

L’insécurité grandissante dans les régions du Sahel et du Centre-Nord du pays a contraint les populations environnantes à trouver refuge dans la commune de Kaya. À la date du 18 juin 2019, 6 799 déplacés internes ont été enregistrés, selon le service de l’action sociale de ladite commune.

Hamadé, ses trois frères, leurs épouses et leurs 30 enfants, font partie de ces gens qui ont tout abandonné à Silmangué, village situé dans la commune de Bouroum (Namentenga), pour sauver leurs vies. Le 10 juin 2019, se souvient-il, « notre village a été attaqué. Ils ont tué des gens, brûlé des concessions, des véhicules et des engins à deux roues. Nous avons enregistré une vingtaine de morts ». Pris de peur, Hamadé et sa famille se sont réfugiés dans la brousse. « Nous avons erré pendant trois jours avant de trouver un véhicule pour nous conduire à Kaya », raconte-t-il. Les difficiles conditions dans lesquelles la famille s’est déplacée ont probablement contribué à dégrader l’état de santé du jeune Haïdara âgé à peine de deux ans, en pleurs dans les bras de sa maman Asséta. Celle-ci confie que son enfant, qui est sous traitement, a présenté les premiers signes de la diarrhée dès leur arrivée à Kaya.

Depuis lors, toute la famille survit grâce à un parent qui a bien voulu mettre un local à la disposition de chaque ménage. Relogé dans une maisonnette de dix tôles avec son épouse et ses cinq enfants, Hamadé reconnaît les efforts fournis par son bienfaiteur, mais s’inquiète pour les jours à venir. « Tous nos biens sont restés là-bas. Le bétail, nos céréales, nos vêtements, nos ustensiles de cuisine », a soutenu son épouse Safoura, très remontée. À l’image de ses parents, le jeune Issa, élève en classe de 6e, craint pour son avenir. « Avant que nous ne quittions le village, je ne partais plus à l’école. Nous avons eu une année scolaire troublée, les enseignants ont été plusieurs fois menacés et ont finalement quitté le village suite aux représailles des terroristes », a-t-il témoigné.

Quand un proche vous dit qu’il est en danger…

Un abri mis à la disposition des enfants déplacés de Silmangué ( Famille d’ Hamidou)

Depuis le lundi 17 juin 2019, Hado, ses quatre épouses, ses deux belles-filles et ses 27 enfants dont deux petits-enfants, vivent désormais à Kaya. Impuissant face à cette nouvelle forme de violence, l’homme d’une cinquantaine d’années que nous avons rencontré en pleine construction d’une maisonnette dans la cour de son oncle, a jugé nécessaire de tout abandonner à Pelhouté, village situé dans la commune d’Arbinda (province du Soum) pour des raisons de sécurité. « Après l’attaque du village voisin par des hommes armés, on s’est senti en danger et nous avons décidé de partir du village. D’autres membres de la famille y sont restés, craignant de perdre leurs biens », confie-t-il, soulignant qu’une de ses épouses a fait une fausse couche durant leur séjour à Barsalogho.

Soulagée d’avoir fui le danger, la famille vit aujourd’hui grâce au soutien d’un parent, Hamidou, et à la solidarité des voisins. « Ce sont des parents, on ne peut pas les abandonner. Quand un proche vous appelle en disant qu’il est en danger, qu’est-ce qu’il faut faire ? », confie Hamidou, soulignant qu’en plus de sa propre cour, il a sollicité la cour d’un voisin pour reloger une partie de la famille déplacée. Puis de poursuivre : « Pour l’instant, on arrive à s’en sortir, mais les choses s’annoncent difficiles. Le sac de riz de 50 kg fait seulement trois jours. Sur le plan sanitaire, les choses sont aussi compliquées. Hier, j’ai envoyé six personnes dont la femme qui a fait une fausse couche au CSPS ».

Le stock de céréales emporté par la famille est déjà épuisé

Peut-on refouler des proches qui sont dans le besoin ? Tout comme Hamidou, Séni, Hado et les autres ont du mal à subvenir aux besoins de leurs familles. Et pourtant, aucun d’eux n’est disposé à retourner dans son village où règne désormais la terreur. La prise en charge de ces grandes familles donne des sueurs froides à leurs hôtes. C’est le cas de cet enseignant qui appelle à la solidarité. « Au-delà des liens familiaux, je pense que chaque Burkinabè doit cultiver l’humanisme en lui. Que l’on soit proche ou pas, n’hésitez pas à leur venir en aide ». Du côté du service de l’action sociale de la commune de Kaya, on salue déjà le geste des communautés hôtes qui a permis de récolter neuf sacs de céréales au profit des déplacés.

Un site pour les déplacés internes à Kaya ?

« Nous avons commencé le recensement en novembre 2018. Nous faisons le bilan à nos responsables qui rendent également compte à notre ministère de tutelle, et c’est au ministère de voir s’il y a une nécessité de mettre en place un camp de déplacés », explique Yobi Sawadogo, agent du service de l’action sociale de la mairie. L’absence de site, de son avis, serait également due à des raisons sécuritaires. « Dans cette affluence, des complices [de groupes armés] peuvent se retrouver dans le lot », a-t-il souligné.

Yobi Sawadogo, agent du service de l’action sociale

À ce jour, il soutient que le ministère en charge de l’Action humanitaire a procédé deux fois à une remise de vivres au profit des déplacés. Toutefois, dit Yobi Sawadogo, ces derniers restent toujours dans le besoin, notamment en matière d’alimentation, de logement, de santé et d’éducation.

Selon les données récentes du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), à ce jour, environ 1,2 million de Burkinabè ont besoin d’assistance humanitaire. Dans l’ensemble, c’est un tableau sombre qui est présenté. En mai 2019, le pays enregistrait 170 000 personnes déplacées internes, 25 000 réfugiés, seize centres de santé fermés, 2 024 écoles non-fonctionnelles.

Nicole Ouédraogo
Lefaso.net

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