Evènements de Yirgou : La température, une dizaine de jours après…

Publié le jeudi 17 janvier 2019 à 20h45min

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Evènements de Yirgou : La température, une dizaine de jours après…

L’heure est à l’apaisement des cœurs à Yirgou, théâtre de violences aux premières heures de cette nouvelle année. Yirgou, ce village tristement révélé à la majeure partie des Burkinabè et à l’opinion internationale. Situé dans la commune rurale de Barsalgho, province du Sanmatenga, dans la région du Centre-nord, Yirgou est à 205 kilomètres au nord de Ouagadougou. Atmosphère dans la commune de Barsalgho, quelques jours après les évènements malheureux.

Dans la nuit du 31 décembre 2018 au 1er janvier 2019 au village de Yirgou-Foulbé, dans la commune de Barsalogho, des terroristes ont tué sept personnes, dont le chef dudit village, avant de prendre la fuite. La suite est connue …, avec ces nombreuses pertes en vies humaines au sein de la communauté peulhe dans des villages de la région et à Arbinda (à 45 kilomètres) dans la région du Sahel (http://lefaso.net/spip.php?article87308). Une situation qui a choqué l’opinion nationale et internationale, qui l’a exprimé à travers notamment les canaux des médias. Au centre des commentaires, les groupes d’autodéfense Koglwéogo.

« C’est difficile pour nous, nous avons vécu des moments horribles. La plupart des femmes ici ont perdu leurs époux ; certaines, avec leurs grands enfants et proches. Nous étions obligées de fuir dans la brousse avec nos enfants, nous cacher avec la faim et la soif. Toutes ces femmes que vous voyez assises ne savent que faire », raconte une des victimes, A.D. C’est aussi le cas de ces deux femmes, arrivées à l’aide d’un tricycle, en cette fin de matinée du 11 janvier sur le site de Barsalgho-centre.

C’est un site d’accueil parmi tant d’autres. Elles sont accueillies par les agents de l’Action sociale pour enregistrement avant installation. « Cela fait une dizaine de jours que nous étions en brousse, on ne pouvait plus repartir au village, de peur de se faire tuer. Nous avons trouvé refuge dans la brousse avec nos enfants avant de rejoindre ce camp », raconte difficilement une des deux, en réponse aux questions de l’agent.

L’on se rendra par la suite compte qu’elles ont, toutes, perdu leurs époux dans les violences. D’où leur soulagement d’avoir pu rejoindre le camp, mis en place quelques jours avant par le gouvernement et ses partenaires. Les premières mesures et l’élan de solidarité enclenchés ont permis de parer au plus urgent. A la date du 12 janvier 2019, 1 006 personnes (en majorité des enfants et des femmes) étaient accueillies sur ce site, et les arrivées se poursuivaient.

70 tentes étaient dressées sur le site de Barsalgho-centre, à la date du 12 janvier

En ce lieu de circonstance, les structures étatiques, des organisations humanitaires, des associations et partis politiques ainsi que des initiatives privées et individuelles se déploient depuis lors en soutien aux populations. Chaque délégation apporte compassion et appuis multiformes aux familles éplorées. « On rend grâce à Dieu, car on a pu avoir un abri, des soins pour nos enfants qui toussaient beaucoup à cause des nombreux jours passés dans le froid, des couvertures, des vêtements et de quoi nous nourrir », témoigne la porte-parole des femmes, A.D.

Une dizaine de jours après les évènements malheureux, la tristesse est encore palpable dans cette contrée. Que ce soit sur le site d’accueil à Barsalgho-centre ou à Yirgou (distants de 75 kilomètres). Au premier lieu cité, les témoignages des violences vécues sont émouvants. La parole se libère difficilement, pour plusieurs raisons liées à l’émotion et à la sécurité.

A Yirgou, en cette journée de 11 janvier 2019, l’on parle peu, même très peu. Ici, on était plutôt préoccupé par les attaques qui venaient d’être perpétrées, la veille, dans des localités environnantes, notamment à Gasseliki, par des individus armés qui ont fait irruption dans le village, tirant sur les habitants.

Outre les tueries, le bétail était également emporté par les individus, selon les explications. Pour des raisons de sécurité également, l’on ne souhaite pas s’adresser aux médias. Que ce soit sur place à Yirgou ou à Barsalgho sur le site d’accueil, l’Etat est, les pensionnaires, responsable de la situation. A Yirgou, on confie que ce n’est pas maintenant que certaines présences ont été signalées aux autorités compétentes. Mais, en vain. Et jusqu’à présent, les appels à la sécurisation se font entendre (du côté des réfugiés à Barsalgho comme sur le site des violences à Yirgou où depuis les violences, des patrouilles des Forces de défense et de sécurité sont perceptibles).

Rappelons au passage que dans l’après-midi du mercredi 2 mai 2018, des individus armés avaient perpétré une attaque à l’école primaire de Bafina et au siège des koglwéogos de Guindbila, deux villages de la commune rurale de Barsalogho (ce qui avait valu le déplacement du ministre de l’Education nationale, Pr Stanislas Ouaro).

Des éléments encourageants

« Aujourd’hui, quand nous sommes partis à Yirgou, nous avons vu un chef de village qui travaille à aider certaines communautés à reconstruire leurs habitats. Nous avons écouté aussi les Forces de défense et de sécurité sur place, qui ont fait le déplacement de Kelbo où, là-bas également, les populations se sont remises ensemble pour veiller à ce que les habitats soient reconstruits et pour organiser des offices funéraires et religieux en la mémoire des décédés. C’est dire que quelque part, il y a une reconstruction qui se fait », a relevé le président de l’Assemblée nationale à l’issue de sa visite le samedi 12 janvier dernier à Yirgou.

C’est également dans ce sens qu’un des porte-paroles des populations réfugiées est allé. Parmi les éléments de satisfaction, il relève la « chaîne » de solidarité, tant sur le site d’accueil que dans les autres contrées de la localité. « Il y en a qui sont logés là-bas à Yirgou par des Mossés et par des familles peulhes qui n’ont pas été touchées. En fait, tous les villages peulhs n’ont pas été touchés, ils ont ciblé des villages », explique le porte-parole, Y. Diandé, pour qui la peur demeure cependant dans leurs rangs.

De façon générale, l’heure est au pansement des plaies et à l’apaisement des cœurs pour un retour au vivre-ensemble. C’est aussi à ce discours de compassion et d’apaisement que s’emploient les visiteurs. Le plus urgent, c’est la prise en charge des blessés, des populations déplacées et de faire en sorte de ne plus rechuter dans les violences.

Le bétail, une grosse préoccupation pour les déplacés

Le Président de l’Assemblée nationale lors de son passage sur le site de Barsalgho-centre

Au camp des réfugiés, le cœur est au village. Chaque refugié exprime la soif de regagner rapidement son lieu de provenance. Seule la peur des représailles retient les uns et les autres, à en croire certains témoignages et propos enregistrés sur place. « Il n’y a pas de garantie qui montre que si on retourne, rien ne va nous arriver. Je demande au gouvernement de nous sécuriser, de mettre le paquet pour qu’on puisse retourner pour chercher nos animaux. Vous savez que les Peulhs sont des nomades, on ne fait pas le commerce ni l’agriculture, c’est seulement l’élevage. Or, tous nos animaux sont restés là-bas. Le gouvernement doit mettre le paquet pour qu’on puisse y retourner. La sécurité est dans les villages, mais ce n’est pas suffisant. C’est véritablement cela notre grand problème actuellement, on ne peut pas vivre ici sans nos animaux », explique M. Diandé.

Selon des femmes, cette vie sans le bétail a un impact négatif sur les tout-petits dont l’alimentation est constituée du lait des vaches. « Les enfants ne mangent pas d’abord le tô, c’est seulement le lait, mais nous n’avons pas notre bétail à côté. Vous les voyez en train de pleurer, c’est le manque de lait. Nous demandons vraiment aux autorités de nous permettre d’aller chercher nos troupeaux qui errent dans les villages », confient-elles.

A côté de ces préoccupations, on retient le besoin en documents administratifs, notamment la Carte nationale d’identité burkinabè et l’acte de naissance. « Tout est brûlé, rien n’y est sorti ; papiers, motos, charrettes…, tout est brûlé. Si l’Etat peut nous aider à établir les papiers, ça va nous aider beaucoup », plaide M. Diandé pour la mise en place d’un dispositif de délivrance desdits documents.

Miser aussi sur l’assistance psycho-médicale

Parmi les services présents et mobilisés sur le site à la date du 12 janvier, on a la cellule psycho-médicale. Elle est dirigée par Moussa Ouédraogo, psychologue, à la tête d’une équipe de jeunes psychologues formés à l’Université de Ouagadougou. Selon le responsable de ce service, c’est le mardi 8 janvier que l’équipe y est arrivée pour un démarrage effectif des activités, dès le 9 janvier.

Le comportement des personnes accueillies est un aspect sur lequel il faut être très regardant, relève-t-il, compte-tenu des violences qu’elles ont vécues. Une personne qui n’est pas assistée est livrée à des problèmes d’adaptation à son environnement, avec ce que cela comporte comme conséquences à court, moyen et long termes.

D’où la nécessité de travailler à permettre à ces personnes éplorées d’apprendre à vivre avec cette nouvelle donne. « Pas d’oublier, mais apprendre à vivre avec. Nous sommes dans un contexte où nous devons réapprendre à vivre ensemble. Ce qui peut faire défaut, si les gens ne sont pas assistés. Cela peut également faire renaître des violences », situe Moussa Ouédraogo.

« Il y a des signes…caractéristiques qui attestent effectivement de la présence d’une situation difficile. Les équipes font le tour au niveau des tentes pour discuter avec les parents pour comprendre le type de violences qui a été exercé au niveau de la famille, comprendre un peu quelles sont les manifestations au niveau des membres de cette famille. C’est à partir de là que nous les référerons aux équipes de psychologues pour leur prise en charge », apprend-on des spécialistes, précisant qu’à la date du 12 janvier, ce sont plusieurs dizaines d’enfants, de femmes ou de familles entières qui ont été reçus.

Ils sont appuyés par une équipe d’éducateurs sociaux qui, à travers le tour des tentes, arrivent également à répertorier un certain nombre de personnes en situation de souffrance qu’ils réfèrent au service psycho-médical, précise l’interlocuteur.

Ici, l’on procède par des questions, des entretiens individuels et/ou familiaux. Pour le cas spécifique des enfants, les spécialistes passent par des dessins (ils font dessiner les enfants, ce qui permet de faire une lecture de la situation de l’enfant). Tout cela, dans les règles de la confidentialité.

Dans l’accompagnement via cet aspect de gestion de la situation, les spécialistes ont appelé à la mise en place d’activités sociales sur le site. « Surtout au niveau des enfants, il s’agit d’organiser des espaces pour enfants avec des jeux. Il y a un besoin à ce niveau », recommande M. Ouédraogo.

Au niveau de la langue, il ressort que la plupart des personnes parlent le mooré et que certains membres de l’équipe s’expriment en fulfuldé. Mais, des difficultés liées à la disponibilité des ressources matérielles demeurent (conditions de travail).

Mais, que deviendront les personnes suivies, une fois qu’elles auront quitté ce camp ? « Il faut voir comment reprendre la main au niveau local. La piste étant que la structure déconcentrée de l’Action sociale puisse prendre le relais au niveau local », suggère-t-on.

La place des personnes âgées se fait ressentir !

C’est dans ce genre de situations que l’on découvre ce qu’est le rôle des personnes âgées dans notre société, les sociétés africaines en général, observe un membre d’une délégation en visite auprès des populations. « J’ai remarqué que la plupart des responsables des services sont jeunes. Vous avez vu même que l’autre…ne pouvait pratiquement rien dire ! Ce n’est pas facile de trouver des mots justes dans de telles situations. (…).

A ce niveau aussi, il faut qu’on essaie d’en tenir compte dans la gestion de ce genre de crises. Voyez-vous, à la tête des services, les jeunes font pitié quand ils se retrouvent dans ce genre de cas, ils sont eux-mêmes perdus », confie ce visiteur.

Un des responsables de service approché sur cette question partage à demi-mot cette perception. « Je comprends effectivement, ce n’est pas facile. Ce sont des limites objectives. Il faut comprendre que dans ces moments de choc, ce n’est pas facile de s’adresser aux gens. Mais quand on assume une responsabilité, il faut trouver des moyens de faire passer les messages. (…). Je me réfère souvent à des personnes-ressources qui sont parmi les réfugiés », expose notre interlocuteur.

N.B : Pour des raisons de sécurité, nous avons décidé de ne pas joindre à l’article, les photos de nos interlocuteurs et bien d’autres images.

OHO
Lefaso.net

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