Lutte contre le mariage d’enfants : Le combat de la sœur Véronique Kansono à Kaya

Publié le lundi 20 novembre 2023 à 13h00min

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Lutte contre le mariage d’enfants : Le combat de la sœur Véronique Kansono à Kaya

Créé en 1952, le Centre Maria-Goretti accueille des jeunes filles victimes de mariage précoce ou de mariage forcé. Dirigé par la sœur Véronique Kansono, l’établissement, sis à Kaya, dans la région du Centre-Nord, abrite actuellement 110 jeunes filles dont des élèves.

Perdue dans ses pensées, le regard triste, Larissa (nom d’emprunt) donne à manger aux poissons élevés au centre Maria-Goretti. Lorsque nous lui adressons la parole, elle recule d’un pas comme si elle avait peur. Après quelques minutes d’explications et l’assurance de la sœur Véronique Kansono, la jeune fille de 13 ans accepte de conter son histoire.

« Je viens de Pissila. Cela fait moins d’un mois que je suis arrivée ici. J’ai perdu mon père et ma mère. Mes deux petits frères et moi sommes sous la responsabilité du petit frère de mon père. Cette année, je dois faire la classe de CE2. Mais mon oncle dit d’arrêter les études parce qu’il m’a trouvé un mari. Je lui ai dit que je veux continuer mes études mais il a opposé un refus catégorique. Pour échapper au mariage, j’ai été obligée de fuir pour venir me réfugier ici. J’ai marché pendant deux jours avant d’arriver au centre. J’ai mendié pour pouvoir manger. La sœur dit qu’elle n’a pas les moyens cette année pour m’inscrire à l’école, mais elle le fera l’année prochaine. Tout ce que je veux actuellement, c’est aller à l’école comme mes camarades. Je ne veux pas me marier actuellement ; je n’ai que 13 ans », raconte la jeune fille, la voix tremblante et les larmes aux yeux.

Aïcha, elle, rentre tout juste de l’école. Elle salue la religieuse et tous ceux qui sont autour d’elle. Dès qu’on lui a dit que nous aimerions lui parler, elle a pris peur. Son regard a changé. Son sourire a disparu. Il a fallu la rassurer avant qu’elle retrouve ses esprits. La sœur a fait savoir que c’est normal, parce qu’elle a vécu beaucoup de traumatismes.

« Je suis élève en classe de 5e. J’ai 17 ans. J’ai perdu mon père quand j’avais six ans. A l’âge de 15 ans, mon oncle m’a donné en mariage à un vieux. Et j’étais en classe de CM1. J’ai supplié mon oncle pour qu’il me laisse continuer les études mais il a refusé. N’ayant pas le choix, j’ai dû fuir pour venir me réfugier dans ce centre. Grâce à ma sœur, j’ai repris les études. Mais ma relation avec ma famille n’est pas totalement bonne. Mon oncle qui voulait me donner en mariage est décédé. Cependant, des gens veulent toujours que je parte chez le monsieur à qui j’ai été promise. Je me cache toujours parce que celui qui devrait me marier ne sait toujours pas où je suis. S’il apprend que je suis ici, il viendra me chercher », a confié l’élève, qui fermait les yeux et soupirait quand elle parlait.

Ayant vécu la situation, Aïcha est consciente des inconvénients du mariage précoce. « Le mariage précoce détruit la vie de la jeune fille. Certaines jeunes filles traînent des maladies à cause des mariages précoces », convainc-t-elle.

« Si je ne rentre pas, mon père va chasser ma mère »

Élève en classe de terminale, Albertine (nom d’emprunt) a dû fuir sa famille pour se retrouver au centre Maria-Goretti en septembre dernier, à quelques jours de la rentrée scolaire. « L’année dernière, j’ai fait la classe de première. Ma famille m’a envoyée dans une autre localité, chez des parents, me disant d’aller continuer mes études là-bas. Arrivée, je constate qu’ils veulent me donner en mariage à un vieux. La seule solution qui se présentait à moi était de fuir. Quand je suis arrivée, la sœur a accepté de m’inscrire à l’école. J’arrive à suivre les cours sans problème », relate l’élève, la tête baissée. Elle avoue qu’elle se cache parce que, pour le moment, les membres de sa famille ne savent pas où elle se trouve. Sinon ils viendront la chercher pour la contraindre à se marier. Elle appelle donc les autorités à prendre des mesures fortes pour mettre fin au mariage d’enfants et forcé au Burkina Faso.

Albertine (nom d’emprunt)

Tout comme Larissa, Aïcha et Albertine, Jeanne (nom d’emprunt) a aussi fui le mariage forcé. Elle est arrivée au centre, il y a trois mois. Elle n’a pas eu la chance d’être scolarisée. Ses parents savent où elle est. Mais pour eux, il n’est pas question qu’elle retourne en famille. Ils estiment que sa place est chez son mari. « Chaque jour, certaines personnes m’appellent pour dire que si je ne rentre pas, mon père va chasser ma mère », confie la jeune fille, avant de partir en sanglots.

Pour la jeune fille de 17 ans, sa mère ne devrait pas souffrir à cause d’elle. Elle vit dans l’angoisse. Pour lui faire oublier la pression de la famille, la responsable du centre a changé la carte SIM de son téléphone. Malgré cela, chaque jour, ses pensées vont vers sa mère. Pour l’instant, elle ne sait pas quelle décision prendre.

« Beaucoup ont été bannies de leur famille »

« Larissa est arrivée chez nous il y a moins d’un mois. Nous n’avons aucune nouvelle de sa famille. Aucun parent n’est venu nous signaler que sa fille est ici. Nous sommes toujours à la recherche de sa famille. Elle est arrivée chez nous très triste. Voyez vous-même, la tristesse se lit sur son visage. Elle n’est pas heureuse. Nous essayons de l’accompagner comme on peut », a souligné sœur Véronique Kansono.

Et d’ajouter : « Elle est élève. Je ne peux pas l’inscrire cette année à l’école, parce que j’ai n’ai pas les moyens. Je lui ai demandé d’attendre l’année prochaine pour pouvoir l’inscrire. Nous n’avons pas le choix. Nous faisons avec les moyens de bord ».

Pour le cas de Aïcha, selon les explications de la sœur, à plusieurs reprises, sa famille est venue pour la récupérer. Elle a dû menacer la famille de la traduire devant les autorités compétentes pour qu’elle arrête de venir harceler la jeune fille. « Cette fille a souffert. Elle est arrivée chez nous très maigre et traumatisée. Sa famille veut obligatoirement qu’elle parte chez son mari. On a dû vraiment la suivre de près pour qu’elle se retrouve », a précisé la responsable du centre.

D’après la religieuse, lorsque Albertine est arrivée au centre, elle a été obligée de la cacher pendant deux semaines. Parce que des gens la cherchait de partout. « Au début, quand elle a commencé les cours, elle se camouflait pour ne pas que quelqu’un puisse la reconnaître. Actuellement ça va un peu. Elle ne se camoufle plus trop. On attend un peu pour essayer d’entamer la méditation avec sa famille pour voir ce que cela va donner », a révélé sœur Véronique.

Pour le cas de Jeanne, elle a indiqué que l’Action sociale a contacté ses parents, mais ces derniers ont refusé de venir. La sœur espère qu’un jour, la famille abandonnera son projet de mariage forcé, et laissera la jeune fille se marier à l’homme qu’elle veut.

« Le cas de certaines filles ici est très compliqué. Certaines ont été données en mariage pour un sac de mil. D’autres en échange de vivres. Beaucoup ont été bannies de leur famille parce qu’elles ont refusé le mariage précoce ou forcé. Nous faisons de la méditation pour qu’elles rentrent en famille, mais il y a des familles qui refusent catégoriquement. Beaucoup de ces filles sont arrivées chez nous avec des maladies de femmes. Parce que dès que le mariage est célébré, il est consommé. Comme ce sont des enfants, elles commencent à développer des maladies. Arrivées ici, nous sommes obligés de les envoyer à l’hôpital pour des soins. Il y a des choses dont je ne peux pas parler, mais sachez que c’est grave », a fait savoir la sœur Véronique Kansono.

Se relever en apprenant un métier

Au centre Maria-Goretti, les jeunes filles victimes de mariage précoce ou forcé sont initiées à des activités génératrices de revenus, en vue de leur permettre de prendre en charge leurs petits besoins mais aussi d’être indépendantes. « Ici, toutes les filles sont organisées en groupes. Certaines vendent du dolo, d’autres des beignets et de la bouillie. Elles vendent les weekends et les soirs après les cours, pour celles qui sont élèves et qui ne sont pas en classe d’examen. Nous leur apprenons à être des femmes battantes pour ne pas qu’elles souffrent si elles quittent chez nous », a expliqué la sœur Véronique.

Pour prendre soin des 110 filles, la religieuse fait de la pisciculture, de l’élevage et du maraîchage. Les légumes produits servent à faire la cuisine pour les filles. Les poulets et les poissons sont vendus pour acheter des vivres.

« Nous faisons ce que nous pouvons. Nous aimerions aider plus ces filles, mais les moyens font défaut. J’ai besoin de matériel pour agrandir la pisciculture et le maraîchage, pour mieux prendre en charge ces filles. Nous demandons aux personnes de bonne volonté de nous aider à mieux prendre en charge ces jeunes filles. Elles ont besoin de nous », a lancé la religieuse.

La sœur Véronique Kansono, responsable du centre Maria Goretti de Kaya

L’apport de Save the Children

Pour prendre en charge ces jeunes filles, la religieuse bénéficie de l’accompagnement de certains bienfaiteurs étrangers et des ONG dont Save the Children. Grâce à cette organisation humanitaire, le centre reçoit souvent des vivres, des matelas, des moustiquaires et bien d’autres matériels. Récemment, l’ONG a fait un don d’une moto au centre. « Cette moto nous aide vraiment. Elle nous facilite les courses. Nous ne pouvons que dire merci à Save the Children pour ce qu’elle fait pour nos filles », a laissé entendre la sœur.

Selon le coordinateur média et communication de Save the Children, Hassimi Zouré, l’ONG appuie le centre Maria-Goretti dans la prise en charge psycho-sociale des jeunes filles et dans la réinsertion socioprofessionnelle, à travers des formations en couture, en art culinaire et en tissage.

Le 20 novembre de chaque année est célébrée la Journée internationale des droits de l’enfant. Ce jour, Save the Children compte accentuer la sensibilisation sur les dangers liés au mariage d’enfants.

Save the Children appelle les autorités politiques, religieuses et coutumières à s’unir pour dire non au mariage d’enfants. « Il faut permettre aux enfants d’avoir au moins 18 ans, l’âge de la maturité, pour qu’ils puissent se marier. C’est aussi bien pour les jeunes filles que les jeunes garçons », a indiqué monsieur Zouré.

Rama Diallo
Lefaso.net

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